Karim, fondateur de La Parisienne, boulangerie/pâtisserie à Dubaï

Ouvrir une boulangerie/pâtisserie sans être boulanger ni pâtissier et cela dans un pays étranger où on ne voulait même pas s’installer ? Cap ou pas cap ? C’est une question que Karim ne s’est même pas posé. Découvrez le parcours du fondateur de La Parisienne, d’Ivry-sur-Seine à Dubaï.

Avant le départ :

Peux-tu nous parler brièvement de ton parcours ?

Je suis de région parisienne, Ivry-sur-Seine dans le 94. Je n’ai pas fait de grandes études, j’étais plutôt un sportif. J’ai joué au handball à un haut niveau.

Avec ma femme, à l’époque, on voulait ouvrir un salon de beauté sur Paris mais ça ne s’est pas fait et du coup ce qu’on voulait investir là-bas on s’est dit pourquoi ne pas l’investir ici aux Emirats. Là je te parle de 2010 environ.

Donc ma femme vient ouvrir le salon ici et moi je faisais des allers-retours parce que j’étais titulaire de la fonction publique avec un contrat à honorer au service des sports de la mairie et ma carrière d’handballeur… si on peut appeler ça carrière.

Tu étais handballeur professionnel ?

Oui, j’ai fait toutes mes gammes à Ivry-sur-Seine qui est un très bon club de l’élite puis j’ai rejoint Nanterre qui était en D2. En France, il y en a beaucoup comme ça qui sont professionnels mais en même temps travaillent à côté dans une mairie par exemple.

J’avais pour but de partir. Je commençais à tirer la langue. Il y avait plein de choses que je ne supportais plus au quotidien et je pense que c’est ce que tout le monde quitte aujourd’hui, l’insécurité, les problèmes de chômage, la discrimination… au bout d’un moment ça suffit ! 

Ce que j’ai appris dans la vie c’est que là où ça ne me plait plus, je prends mes clics et mes clacs et je pars sans faire de zèle.

Du coup, pendant 2 ans j’ai fait des allers-retours entre la France et Dubaï avant de m’installer.

Et pourquoi les Emirats ?

Alors honnêtement moi je n’étais pas du tout pour les Emirats. Moi, j’étais plutôt branché pays nordiques/scandinaves et tout… Donc je me prends la tête avec ma femme qui elle avait son grand frère qui était ici depuis 2 ou 3 ans donc elle me dit « Dubaï c’est comme ci c’est comme ça » et je lui dis « Écoute, allez, je te suis » parce qu’elle avait l’air d’être sûre d’elle. Après les femmes, des fois, elles ont un flair que nous les hommes nous n’avons pas.

L’installation et quotidien :

Comment s’est passé l’installation ?

Au début c’était très dur parce je ne connaissais personne. On peut avoir la barrière de la langue ou une certaine timidité mais Al HamoudiLlah j’étais plutôt à l’aise… Mais moi en venant ici je n’ai pas de diplôme, je suis assez jeune… Après comme je me dis que j’ai fait beaucoup de choses en France dans la restauration, dans l’enfance, dans le sport, dans la gestion de stocks… J’ai fait un peu de tout.

Mais tu as 50 ans ! haha…

(Rires) Non j’ai 33 ans…

Mais ta carrière de sportif s’est terminée tôt alors…

Oui, si on peut appeler ça une carrière…  J’ai arrêté à 20 ans…

Je ne passe pas en D1 et donc j’arrête.

J’étais un peu turbulent, j’avais la grosse tête un peu. J’étais jeune et un peu bête. Tu sais, j’ai fait toutes mes gammes à Ivry, j’étais le capitaine de la sélection du Val-de-Marne. Dans mon parcours jeune j’étais dans l’excellence, dans le plus haut niveau que tu puisses faire.

Petit à petit j’arrive en équipe de France A prime et là c’est autre chose. Il y a des codes, des machins, des fonctionnements qu’un petit jeune de banlieue comme moi ne connaissait pas… Je ne voyais pas le monde professionnel comme ça parce que j’étais trop à l’aise et bête à la fois. Je pensais que j’étais le plus beau et le plus fort mais je comprends que je ne suis rien du tout et je me mange une grosse claque dans la poire…

Donc tu arrêtes et tu viens à Dubaï…

Oui. Je ne te cache pas qu’au début j’avais le mal du pays, le manque de la famille.

Je me retrouve là, je n’ai pas d’amis, je ne connais personne. Toute la journée, j’attendais que ma femme rentre du boulot pour qu’on sorte un peu découvrir la ville, le pays.

Après, tout naturellement je trouve un travail. J’avais postulé à l’école française et franchement c’est un excellent tremplin parce que tu rencontres beaucoup de francophones et ça t’aide à prendre le pli.

Puis finalement je reprends le handball en signant professionnel dans le club de Sharjah. Et là je vais apprendre beaucoup de choses dans la culture émirienne et faire beaucoup de rencontres.

Déjà à cette époque je voulais ouvrir La Parisienne mais je n’ai pas les fonds puis le salon au début ce n’était pas facile. Je me rappelle que la première année on fait zéro ! Zéro ! Zéro !

Je me rappelle que quand ma femme avait une cliente, elle m’appelait et elle gardait la cliente toute la journée (rires). Elle prenait tout le temps qu’il fallait parce qu’elle avait qu’une cliente dans la journée !

Avec le recul, aujourd’hui qu’est-ce qui te parait difficile ?

Certains produits de la France me manquent. Moi justement j’ai fait La Parisienne pour pallier un manque mais il y en a encore pas mal…

Et au quotidien, qu’est-ce tu aimes le moins ?

C’est l’inflation. Quand tu es entrepreneur et que le marché n’est pas stable… Pour moi c’est inconcevable d’avoir un pays qui est producteur de pétrole et d’avoir entre janvier et aujourd’hui 58% d’augmentation sur l’essence. Avant je ne le ressentais pas ça. Bon après ce qu’il se passe dans le monde…

Puis parfois sur certaines choses comme l’immobilier, il y a un manque de qualité… Il faut être vigilant.

Et avec ces 10 ans passés ici, qu’est-ce que tu aimes le plus?

Le lifestyle, la manière de vivre. La sécurité. Fin la sécurité physique parce que la sécurité digitale ici c’est une faille mais personne n’en parle. Il faut faire attention aux arnaques, les appels, les sms, etc.

Est-ce qu’il y a un endroit en particulier que tu aimes ici à Dubaï ?

Franchement, j’aime beaucoup le désert, la plage et chez moi. Si Madame lit ça elle va dire « c’est un gros mytho, il n’est jamais là ! » (rires).

Vie professionnelle :

Donc tes premières années ici, c’est le handball professionnel et le salon de ta femme ?

Voilà. Mais je commençais à être un peu lassé de la mécanique handball, beaucoup de pression, machin, etc. C’était très dur. On dormait au moins deux fois par semaine à l’hôtel. Je ne me plains pas après j’étais content, c’était très bien payé al hamdouLlilah.  On a fait le record historique du handball émirien en prenant 5 titres de champion sur 6 ! On a été reçu par le Cheikh Al Qassimi (Emir de Sharjah).

Mais j’en viens à la Parisienne parce que c’était mon rêve. On ouvre juste avant le COVID mais faut savoir que moi je n’y connaissais rien… J’ai aucun background. Ok j’ai été serveur etc. mais quand on parle de grammage de farine, je n’y connaissais rien…

Mais malgré tout, ça marche…

Al HamdouLlilah mais ça marche parce que je suis partout, je travaille énormément. Si je dois combler dans des livraisons ou dans de l’accueil de clients ou dans le développement B2B, qui aujourd’hui est important dans la société, je le fais. Même les tâches ingrates comme la vaisselle, le ménage etc. Je suis partout et nulle part et bien sûr j’ai un bon staff.

Jusqu’à ce jour je fais toutes ces choses là et mes staffs ne comprennent pas. Pour moi un patron doit connaitre son entreprise de bas en haut. Mais pour connaitre, faut les faire les tâches. Moi je ne demande pas « s’il te plait nettoie la cuisine en 30 min, faut qu’elle brille » parce que je l’ai déjà nettoyée la cuisine, c’est un gros boulot qu’on ne peut pas faire en 30 min. Par contre, quand je lui demande de le faire en 2h c’est parce que je sais que moi je le fais, sûr et certain, en moins de deux heures et ils le savent. Et au final ça crée une excellente proximité avec le staff.

Et pourquoi ces business-là ? Le salon ? La boulangerie ?

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Le salon c’est le métier de ma femme et La Parisienne c’est mon rêve à moi. J’ai toujours voulu faire ça. Je ne le faisais pas à l’époque parce que les gens me disaient « Ecoute Karim, tu ne peux pas faire une boulangerie, tu ne peux pas faire un lieu comme ça, tu ne peux pas faire machin… parce que tu n’es pas un boulanger, tu n’es pas un pâtissier, tu n’es pas, tu n’es pas ! » sauf que ça c’est très français !

En plus, nous on met beaucoup d’argent avec ma femme, on met tout notre capital donc ça passe ou ça casse quoi !

Et ça passe…

Al hamdouLlilah et là depuis le 23 février on a ouvert un canal de vente donc directement à Darzan. Donc on va dire que La Parisienne c’est la maman et on va créer plein de petites sœurs in sha Allah.

Est-ce que les démarches pour créer tes sociétés ont été compliquées ?

Vu que j’ai un gros réseau local, je suis facilité dans mes démarches. Même pour le salon au départ, on a pu profiter du réseau de mon beau-frère qui était là depuis des années. Après oui, je sais qu’il y en a qui galèrent ne serait-ce que pour poser une question.

Mais aujourd’hui les choses sont différentes, il y a les groupes, il y a plein d’entreprises françaises qui t’aident à créer ta boite et qui t’accompagnent. L’information circule plus rapidement. Après chacun leurs compétences, leurs sérieux, etc.

Et est-ce que dans le cadre de ton activité, le fait d’être aux Émirats est un atout important ?

Ça marcherait beaucoup mieux en France ! Après je ne rentre pas dans la faisabilité d’un tel projet en France. Je dis juste que si j’étais à Paris, j’aurais beaucoup plus cartonné qu’ici. Parce qu’ici on a une base de données de quoi ? 25 000 ? 30 000 français ? Dispatchés sur tous les Emirats… On va dire 15 000 à 18 000 sur Dubaï, je ne sais pas… Mais parmi eux il y a beaucoup d’enfants, des personnes âgées, etc. Donc au final, en termes de potentiel, on a une base de données qui n’est pas énorme.

Si tu vas chez moi à Ivry, aux alentours tu as Charenton, Vitry-sur-Seine, Le Kremlin et d’autres villes… tu les additionnes, tu arrives à 160 000 ou 200 000 personnes, qui plus est on est 15 millions à Paris. La bas, La Parisienne serait beaucoup plus dans son élément.   

Du coup…

J’aimerais bien m’exprimer sur les impôts aussi. J’aimerais bien donner mon avis parce que là au bout d’un moment il faut arrêter de dire aux gens qu’aux Emirats il n’y a pas d’impôts. C’est des idées reçues qui se répètent et qui se répètent et qui se répètent… Pardon mais en France ta plaque d’immatriculation tu la renouvelles chaque année ? Non ! Ta carte d’identité ? Machin et machin ? Non. Ici tu refais tout, tout le temps et tu payes chaque année. Ton Kbis, tu payes chaque année !

Attends, faut que je leur montre tout ce que je paye ! On va dire c’est des frais cachés ok, on ne les appelle pas impôt ok parce qu’ils ne ponctionnent pas directement sur ton chiffre d’affaires mais pardon c’est des trucs que tu ne peux pas ignorer, tu es obligé de les mettre dans ta compta.

En France, je ne suis pas expert mais tu as des contrats assez précaires où tu peux assez facilement changer de personnel s’il ne te convient pas. Ici, tu ne peux pas embaucher quelqu’un sans lui faire le visa etc. Attends, comment je peux voir s’il est bon le gars ? Je vais tester 10 gars et les 10 je dois payer leurs papiers ! Sinon après tu es dans l’illégalité… Et s’il est bon, après faut renouveler ses papiers etc. Il y a énormément de frais…

Si je reformule ma question, est-ce que La Parisienne aux Emirats c’est un atout, une bonne idée ? Ou tu te dis que tu aurais dû faire autre chose ?

Non, moi déjà je ne regrette jamais ce que je fais. La Parisienne à la base je le fais pour moi avant de le faire pour les gens. C’est pour mon propre développement personnel, pour me challenger. Après, on peut toujours faire d’autres choses d’autant plus que les Français, ici, on n’est pas nombreux. Faut se dire les choses, on n’est qu’une petite communauté ici aux Emirats.

Et du coup les Français dans ton chiffre d’affaires ça représente quoi ?

Ah, c’est la grosse base. On doit être à 60 ou 65%… D’ailleurs, je félicite toutes les personnes qui ont le courage d’ouvrir des business physiques ici aux Emirats avec un savoir-faire français. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas, chapeau à eux !

Malheureusement, on ne s’entraide pas… Quand il y en a un qui ouvre, sous prétexte qu’il n’est pas en bas de chez toi, tu y vas peut-être qu’une fois… Alors qu’on devrait consommer que chez lui ! On devrait se donner une vraie force comme le font les Anglais et toutes les autres communautés.

Quel conseil donnerais-tu aujourd’hui à des personnes qui hésitent à se lancer dans l’entrepreneuriat aux Émirats ?

Qui hésitent ?

Oui, qui ont des blocages…

Quels types de blocages ?

Partir à l’étranger, la langue, la peur de l’échec…

Franchement ce ne sont pas des questions que je me pose… Moi, je me suis dit que si je dois perdre mon investissement, je vais le perdre. Ce n’est pas grave, je vais me refaire…

C’est pour ça que nous les français on est presque KO dans l’entrepreneuriat. On est nul ! On est nul et on est nul ! Quand on est face à des choix qui peuvent t’emmener dans le rouge ou t’emmener tout en haut, on préfère ne pas bouger… Moi je ne suis pas du tout comme ça, je veux me challenger, être mon propre patron et j’ai aussi envie de me dire que si demain ça ferme etc. èa restera tout de même une réussite dans ma vie. J’aurais ouvert ça, j’aurais connu énormément de personnes et toutes ces choses-là ça n’a pas de prix !

Les Français aiment voir le négatif « regarde il s’est cassé la gueule papati patata », « je lui avais dit de ne pas le faire et machin et machin »… ok c’est super, merci la France, au revoir.

Moi j’aime beaucoup le mindset anglais, eux au contraire ils te disent « ah il a quand même réussi à ouvrir ça », « il y était presque nanani », « il a quand même eu une grosse expérience grâce à ça donc le prochain business qu’il va faire, il va tout arracher »… Nous, les français on est morbide !

Dans l’entrepreneuriat faut être prêt à galérer aussi. Moi il y a des périodes où je travaillais 20 ou 22h par jour ! Tout le monde n’est pas prêt à faire ça. J’étais en train de presser des oranges de 00h à 03h du matin tout seul pendant le COVID ! Il n’y a pas de réussite du jour au lendemain… Regarde le gars d’Ali Baba, c’est Koh Lanta sa vie…

Et c’est ça, moi si tout s’arrête demain, je te dirais « Quelle expérience exceptionnelle j’ai vécu ! Ça n’a pas de prix ! »

En résumé, je lui dirais que ça se tente mais attention, ça se tente avec de la préparation. Moi je suis venu ici en deux ou trois temps… Mais si tu te prépares bien, ça se tente, ce n’est pas facile, l’adaptation etc. mais faut le faire.

Merci beaucoup Karim.

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